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L’INTELLIGENCE  DES  CHEVAUX  AU  TRAVAIL
Quand j’ai reçu un message pour la promotion de ce petit livre, j’ai lu le titre, pas d’hésitation, je vois que c’est un collectif de 5 auteurs, le sujet me passionne, le document promet d’être utile à nombre de débats actuels, j’achète ! Le site des éditions QUAES est simple, la commande facile. Le catalogue montre bien qu’on est dans un monde pratique et scientifique, cela ne peut qu’aider à la réflexion …

Deux des autrices ont travaillé depuis 2016 avec Nicolas Blondeau sur la relation cheval-humain, et sur le « débourrage », sa spécialité. Comme il a quelque peu révolutionné le monde du cheval, et l’abord de cette phase en particulier, il est logique qu’il ait rédigé la préface de l’ouvrage. Il cite La Guérinière (1733) et plaide pour le rôle du « débourreur » ; il cite Maurice Hontang, dont le livre « Psychologie du cheval » m’avait à l’époque enthousiasmé durablement. Et il conclut : « Vivre ensemble, c’est travailler ensemble»… il donne déjà ainsi de quoi réfléchir sur le sujet …

L’introduction de Jocelyne Porcher, spécialiste érudite des sciences de l’animal, utilise des mots savants, et cependant motive l’intérêt. Cet ouvrage n’a de toute façon pas un objectif de vulgarisation, et s’adresse à tous les passionnés du cheval qui veulent mieux comprendre leur animal favori. Certains scientifiques s’orientent aussi vers le grand public, comme Léa Lansade ou Hélène Roche, mais l’objectif ici est d’expliciter l’intelligence du cheval. Et Jocelyne Porcher arrive bien à expliquer que le cheval est intelligent. Et sa démarche est rigoureuse et convaincante. Mais comme l’intelligence du cheval est différente de la nôtre, c’est parfois compliqué à prouver, car le monde est complexe … ça me semble assez évident, car j’en suis convaincu, mais quelque part ça peut vous laisser rêveur !

Bref, pour continuer à apprendre, voyons le 1er texte, celui de Vanina Deneux : « Sur les traces de la METIS des chevaux ». Elle remonte au 3ème siècle après JC, et explique que la Metis grecque c’est en quelque sorte l’intelligence rusée. L’idée a, selon moi, quelque chose à voir avec ce que pour les humains on appelle le bon sens paysan … Avec ce texte, on a plaisir à suivre les auteurs cités, depuis Xenophon d’abord, puis Fiaschi, Puvinel, Montaigne, Descartes, pour finalement arriver page 21 à Patrice Franchet d’Esperey (Les arts de l’équitation dans l’Europe de la Renaissance - 2009) : « L’équitation savante est considérée non seulement comme une métaphore de l’exercice du pouvoir des gouvernants, mais aussi l’élément essentiel de leur éducation. » Au XIXème siècle, pour Baucher, l’intelligence du cheval est prouvée. Et Gustave Le Bon, plus scientifiquement, le confirme. Les sciences du travail dans les années 1970-80 évoluent et précisent le cas du cheval : il ne s’agit pas d’une intelligence rationnelle, « activité cognitive de résolution des problèmes », mais d’une intelligence intuitive, d’une ingéniosité, d’une intelligence du corps. Vanina Deneux en vient, à partir de sa thèse de 2021, à donner des exemples d’intelligence « situationnelle » ; non seulement elle nous fait comprendre les origines de ce concept de Metis, mais elle en montre la réalité chez le cheval.

Le second texte s’intitule « Une sublimation par l’amour ». Ne serait-ce pas un peu ambitieux ? Sophie Barreau et Jocelyne Porcher commencent par citer en référence les chuchoteurs américains. Ceux-ci ont effectivement apporté de nouvelles techniques, et leurs critiques du système traditionnel de débourrage des chevaux de travail étaient justifiées. Je n’oublie pas qu’ils avaient aussi pour but de développer leur propre marché et de faire fructifier leur clientèle … Mais toute méthode est basée sur des concepts. Et ces deux autrices étudient les différents aspects intervenant dans l’intelligence du cheval au travail. L’expérience pratique de Sophie Barreau conjuguée à la compétence « tous animaux » de sa collègue nous parle. Dans l’ouvrage du regretté Michel Antoine Leblanc « Comment pensent les chevaux (Editions VIGOT 2015) » on retrouvait ces explications, sous réserve d’avoir appris à décrypter le langage scientifique. Mais on trouve ici de courtes formules éclairantes : « Travailler c’est l’intelligence de l’animal en action » (p 36). Qui peut ne pas être d’accord ? Diverses citations de tous les écuyers connus le confirment. Elles concluent ainsi : « Le moteur de l’engagement des animaux dans le travail c’est l’affectivité » (p40). Bien utile de marquer ainsi clairement l’importance de la confiance comme socle de la relation. Elles poursuivent avec une remarquable mise en valeur de la méthode Blondeau et de son étape essentielle « monter dans le van ». Evitons à nos propres souvenirs pratiques sur ce sujet de revenir, et savourons … la méthode Blondeau expliquée par des scientifiques : bravo Nicolas ! Mais pour le grand public des équitants, cette étape est-elle suffisante ? J’avoue être un peu déçu quand ce chapitre se termine avec la comparaison de l’oiseau dans la cage (p 50) qui ne peut comprendre l’attitude amicale de l’homme car « toute mutilation extérieure de cette relation de polarité empêche ou détruit la compréhension symbiotique » citation d’Erwin Straus, qui est sûrement une référence scientifique … et un expert en vocabulaire abscons !

Le 3ème chapitre est l’œuvre d’une ethnologue espagnole Maria Fernanda de Torres Alvarez qui nous emmène en Camargue. Elle analyse par étapes bien organisées : - l’intelligence – l’espèce – la race – l’individu. « Les chevaux sont engagés dans un processus continu de devenir eux-mêmes, et ce devenir se fait avec les autres, en collectif. » (p59). Cette dissertation se poursuit avec des citations savantes sur le travail. Puis elle présente les deux principaux métiers du cheval camarguais : gardian, promeneur. Ses descriptions, ses explications, sa compréhension du sujet sont claires. Au-delà de son talent d’observateur on peut saluer pour la race Camargue l’apport d’une étude scientifique de qualité.

Dans le 4ème chapitre, Charlène Dray commence par citer un artiste-chercheur et biologiste qui est le fondateur de la technozoosémiotique … de quoi s’inquiéter ! Elle étudie d’abord « La présence animale comme œuvre » puisqu’elle se base sur les chevaux acteurs. Ils ont « la faculté à s’adapter aux états émotionnels des humains » (p79). Oui, on le sait. Pour les chevaux danseurs, elle cite Bartabas et son modernisme. Les formes d’intelligence du cheval sont pour elle la mémoire, et l’isopraxie (cf Barrey 1990). Pour les chevaux artistes, elle ajoute les intelligences scéniques. Celle des chevaux calculateurs est aussi évoquée. A partir de son expérience de la scène avec ses deux chevaux, elle évoque les autres formes d’intelligence du cheval – intelligence spatiale : une fois reconnu l’espace où il va jouer, ça va mieux ! C’est la « familiarisation » des chevaux avec les terrains de compétition. – intelligence musicale, avec l’utilisation de capteurs capacitifs ( ça impressionne ! ) – intelligence relationnelle. Ses analyses et son vocabulaire d’universitaire et de chercheuse seront loin de toucher le grand public. Peut-être ses spectacles y arriveront-ils, puisqu’elle veut « engager les formes de dialogue en intégrant les médias visuels, sonores, textuels pour opérer une polysémie des langages équins-humains sur scène ». Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites !

Le 5ème article est celui de Chloé Mullier, chercheuse indépendante, mais membre comme ses co-autrices du collectif Animal’Lab. Elle relate une expérience avec des chevaux à problèmes (mais qui n’étaient pas agressifs). Tous les hommes et femmes « de cheval » ont eu à faire face à ce genre de situations. Mais pour elle, il lui faut faire référence à une méthode de marque déposée, qui aurait inventé une « pratique de conscientisation et d’apaisement des niveaux d’activité mentale au service de la relation entre humains et animaux ». Pour nous, c’est de la mise en confiance, simplement. Nous sommes heureux qu’elle y soit arrivée, et que ces deux entiers croisés trait-pottok élevés en liberté pour la viande aient pu retrouver une vie de cheval normale !

La conclusion générale est brève, et même s’il a fallu passer par quelques démonstrations parfois obscures, on finit par être bien d’accord avec cette équipe : sentiment, respect, affection, confiance sont primordiaux. Et cette dernière page résume bien l’incohérence des « théoriciens et militants animalistes » : ils disent qu’il ne faudrait pas travailler avec les animaux, puisque les scientifiques prouvent qu’ils sont intelligents. Car ces activistes croient encore que le travail c’est l’exploitation. Or le travail est possible avec ces animaux car justement ils sont intelligents, avec leur type d’intelligence, « une donnée ni innée ni immuable », mais « une construction dynamique, relationnelle, affective » … Démonstration lumineuse, mais sera-t-elle suffisante ? Voici en tous cas les trois superbes phrases qui terminent (p 116-117) ce petit livre : « Le travail peut offrir aux humains comme aux animaux le meilleur ou le pire. L’enjeu de nos relations avec les animaux est de permettre le meilleur. Le meilleur de ce qui nous fait humain avec les animaux. »
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BM 21/06/2023