Voyant de loin que j’approche du stand des livres à Equita’Lyon, Jean-Maurice m’arrête : « Bernard, il faut que tu achètes mon livre, je te le dédicace de suite ! ». D’accord, je le fais. C’est un pavé de près de 400 pages, on verra quand l’aborder… Mais dès le lendemain, j’ai l’envie de regarder.
Première impression, le premier chapitre a un vrai côté biographie : les débuts dans la vie, la famille, les personnes et des évènements qu’on ne connait pas, qui ont compté pour l’auteur. Mais au bout de même pas 20 pages, pourtant importantes vu les racines du personnage, il décide : assez parlé de soi, l’histoire commence alors. Et on ne la lâche pas. A la fin, on comprend le rôle de Jean-Louis Gouraud, diable d’homme (de cheval, et d’écrits) qui a su donner l’envie à Jean-Maurice Bonneau de faire un livre, et a laissé cheminer l’idée, pour que, 20 ans après, elle se concrétise !
En 13 pages, le chapitre suivant nous emmène depuis une chute avec clavicule cassée à la nomination comme entraîneur de l’équipe de France de saut d’obstacles. Au passage, une mention de l’activité de Jean-Maurice comme entraîneur de jeunes cavaliers : Guillaume Canet et Marina Hands, aujourd’hui acteurs célèbres, et grâce à leur premier mentor toujours passionnés de chevaux ! Comme cavalier, il s’était illustré avec l’étalon anglo-arabe Jalienny ; je les revois toujours assurer sur la piste de l’hippodrome de Pompadour, face aux tribunes, une démonstration de saut d’obstacles époustouflante de maestria ! Sa monture suivante mérite mieux qu’une mention, son cher Urleven Pironnière, issu comme son dresseur du terroir vendéen, à ne pas oublier …
Et c’est après les Jeux Olympiques de Sydney (2000) que notre homme se retrouve « Aux manettes », titre de son chapitre 3. Toutes les bases, certains diront les secrets, de son entraînement y sont décrites : santé des chevaux via la vétérinaire d’équipe, en lien avec les personnes clés que sont les grooms, site de regroupement pour sortir du quotidien et inciter aux échanges, entraîneur dressage pour le travail sur le plat, forme et moral des cavaliers avec médecin, kiné, nutritionniste ou psychologue du sport, l’encadrement est au complet. Jean-Maurice fonctionne avec l’organisation fédérale, et veille à la transmission de l’information. Il met en place et explique les 3 piliers de la performance (physique, technique, mental). Il se donne les outils pour ce faire, vidéos, statistiques, pour analyser les points faibles, et orienter tout le monde sur les mêmes objectifs.
C’est simple, l’objectif immédiat ce sont les Championnats du Monde, qui vont avoir lieu à Jerez en 2002 ; victoires dans les Coupes des Nations de La Baule, et de Rome, déconvenue du Championnat d’Europe à Arnhem, l'entraîneur prend son bâton de pèlerin, et va visiter individuellement ses cavaliers ; il nous détaille même dans son livre la journée avec l’expérimenté Gilles de Balanda, ceci expliquera cela … L’année 2002 commence, le chemin est balisé, les concours et les programmes individuels sont approuvés, même si l’auteur cite avec humour Rodrigo Pessoa : « On passe notre temps à modifier les plannings que nous avons soigneusement élaborés. » Aix-la-Chapelle, Falsterbö, Lucerne, Dublin sont les premières étapes, puis Donaueschingen, où sera annoncée la sélection pour Jerez. On sent les affres par où passe le responsable, quand il lui faut décider du 5ème, qui ne sera donc que remplaçant. Regroupement ensuite, étude des parcours et des obstacles appréciés du chef de piste des Championnats, analyse individuelle du travail des chevaux, toujours en prêtant attention aux détails, et puis c’est le voyage pour l’Espagne ! Il semble que la gestion de la santé des chevaux et du moral des troupes n’ait pas été de tout repos … N’est-ce pas le lot de tout entraîneur ?
L’ambiance à Jerez est favorable aux couleurs françaises, avec Jean Teulère champion du Monde individuel en concours complet et l’équipe de France médaille d’argent, et avec l’équipe d’endurance médaillée d’or. C’est ensuite le tour du saut d’obstacles… Inspection des chevaux le lundi, épreuve de familiarisation le mardi, première qualificative le mercredi, mais l'entraîneur doit aussi veiller aux détails : obtenir qu’un petit déjeuner soit servi de très bonne heure à l’hôtel, car l’épreuve par équipes commencera à 7H30 le lendemain. Ordre de passage, vérification des parcours et des hauteurs, 1m55 à 1m60 soit dit en passant, péripéties et suspense du sport, tout est dévoilé. La seconde manche l’après midi se conclura sur la victoire de l’équipe de France, avec ses 4 étalons Selle Français. La célébration en soirée sera digne de la victoire, et Jean-Maurice Bonneau se souvient de tout, y compris d’avoir tout fait pour ne pas être jeté tout habillé dans la piscine de leurs hôtes, ce soir-là … La finale individuelle avec changement de chevaux, formule initiée par Jean d‘Orgeix, et abandonnée après les Jeux de Caen 2014, verra Eric Navet médaillé d’argent, juste récompense de son talent de dresseur avec Dollar du Murier, de son pilotage fin de cavalier, et d’un sérieux dans le travail incontestable !
Mais revenons au livre, nous en sommes déjà au chapitre 9, à peine à la moitié donc. Après la reconnaissance des politiques, où il semblerait bien que Jean-Maurice ait pris des notes lors de l’allocution du Président Chirac, retour au travail. Les objectifs 2003 sont là : championnat d’Europe par équipes et sélections pour la Coupe du Monde individuelle indoor du début 2004. Un premier rassemblement à Saumur permet d’aller dans les détails techniques, d’étudier les vidéos, d’harmoniser les conseils. La Coupe du Monde verra au final la victoire d’un outsider Bruno Brouqsault et de son atypique Dilème de Cèphe, anglo généreux et cavalier nordiste hyper motivé : ils reviendront de Milan en héros !
La saison suivante porte la marque des soucis de sélection pour les Jeux Olympiques d’Athènes. Si la saison en extérieurs comporte ses succès, triplé français au Grand Prix à Rome, victoire à la Coupe des nations de Rotterdam, elle comporte aussi ses dissensions auxquelles doit faire face l’entraineur, attisées par une presse dont les médailles 2002 ont attiré l’attention. Les JO seront un fiasco pour l’équipe de France, et pour d’autres, avec des problèmes liés à la qualité du terrain d’obstacles, ce dont certains chevaux ne se remettront pas. La médaille de la France par équipes en complet passa de l’argent à l’or suite à un désaccord des juges sur une volte de la cavalière allemande lors de son parcours d’obstacles. Notons cependant que les deux cavalières françaises en dressage, Julia Chevanne et Karen Tebar, étaient des supportrices appréciées des autres cavaliers. L'entraîneur verra ses troupes remporter la finale de la super-ligue 2004 et poursuivra ses fonctions jusqu’à fin 2006, dans une ambiance fédérale assez remuante, alliant les jeux politiques aux attaques personnelles, renforcées par quelques tontons flingueurs sortis du bois…
Libéré de ses obligations fédérales, Jean-Maurice Bonneau se retrouve sollicité comme consultant dans la région de Chantilly, comme entraîneur privé chez le jeune Simon Delestre, aujourd’hui un des cavaliers français aux meilleurs résultats internationaux. Il est aussi coach de divers cavaliers dont l’un le sollicite pour un suivi aux JO de Pékin, à Hong-Kong, où il enfilera la casquette de commentateur télé pour la chaîne Equidia. Le tourbillon de ses activités continue de plus belle, sans négliger les racines vendéennes, que le décès de sa mère ravive, et l’amène sans y penser dit-il à racheter une grange de famille. L’année 2010 le voit aux Championnats du Monde au Kentucky, au côté de cavaliers brésiliens entraînés par son ami Rodrigo Pessoa, champion olympique à Sydney avec le crack étalon Baloubet du Rouet. C’est à cette occasion que le Président de la Fédération Equestre du Brésil lui demande un projet en vue des JO de 2012 pour lesquels son équipe vient de se qualifier, mais surtout en vue de Rio 2016, à domicile ! L’avis de Nelson Pessoa, passé du qualificatif de « sorcier brésilien » quand il était cavalier à celui de « légende vivante », lui sera des plus utiles, voire déterminant pour se lancer dans ce nouveau challenge.
Entraîneur d’équipe, il devra alors se partager entre le suivi sur place au Brésil des cavaliers participant aux plus gros concours, et de ceux qui ont fait le choix d’une activité basée en Europe. Première grande étape, Jean-Maurice va déjà avec l’encadrement brésilien participer aux Jeux de Londres, découvrir le village olympique, et faire face à ses épreuves équestres excitantes. Si vous les aviez regardées à la télévision, vous ne saviez rien des détails de préparation et de technique équestre. Avec cet ouvrage, vous saurez tout sur le déroulement des épreuves de saut d’obstacles et sur les aventures des cavaliers brésiliens et de leurs chevaux. En vue de Rio, l'entraîneur- sélectionneur prépare et propose un plan d’action à ses patrons de la CBH (Confédération Brésilienne « de Hipismo » ; il en prévoit les règles, édictées sous forme de charte d’équipe pour les cavaliers, clarifiant les droits et devoirs de chacun. Sage précaution pour un sport individuel, mais où l’athlète est d’abord le cheval !
Saison 2014 : les performances de Philippe Rozier et sa rencontre avec un préparateur mental digne de ce nom font réfléchir Jean-Maurice, entre deux voyages transatlantiques au Brésil ou en Floride. Un championnat à Santiago du Chili lui permet une revue des troupes brésiliennes. Une finale de Coupe du Monde à Lyon prélude au circuit des Coupes des nations et au choix délicat des quatre cavaliers qui représenteront le Brésil au Championnats du Monde à Caen. Les épreuves de saut d’obstacles laisseront ce pays à la 5ème place, suite à un incident de piste le premier jour, mais dans cette discipline, tout incident, dérobé ou chute, compromet immédiatement le résultat. Au fil de la plume de l’auteur, on comprend que la valeur de ces chevaux et les échanges commerciaux dont ils sont l’objet est un paramètre à ne pas négliger. Et on saisit bien sa manière de remettre de l’ordre face aux cavaliers brésiliens restés aux portes de la sélection. Ce qui ne l’empêche pas de nous parler de football, au pays du roi Pelé, et de l’ivresse d’une soirée dédiée à la samba …
En 2015, tout en gardant le contact avec le haut niveau français, via propriétaires et cavaliers, l'entraîneur voit aussi le président de la Fédération brésilienne confronté à la situation politico-économique délicate de son pays. Les Jeux panaméricains ne sont pas une réussite pour son équipe. Le concours italien d’Arezzo va mettre du baume au cœur de l'entraîneur avec une victoire dans la Coupe des Nations, Et le concours « le plus doté au monde » , Calgary, au Canada, conforte ses choix avec le même résultat, une victoire dans l’épreuve par équipes, et avec la 3ème place dans le Grand Prix du cavalier Pedro Veniss avec son Quabri de l’Isle ! Cela n’empêchera pas la CBH de mettre fin au contrat de son chef d’équipe et entraîneur.
Libéré de ces obligations, il signe comme coach privé pour Kevin Staut et Patrice Delaveau avec leurs propriétaires, et poursuit un soutien technique en France tous azimuts. Sur un concours au Portugal, à la mi-mars, il retrouve Philippe Rozier, qui vient souhaiter son aide. Avec l’accord des responsables fédéraux du saut d’obstacles, Philippe Guerdat entraîneur-sélectionneur et Sophie Dubourg, directrice technique nationale, notre Jean-Maurice reprend ses agendas et programme sa saison, en pensant bien sûr à Rio … dans quelques mois. Réglages des embouchures, forme des chevaux, travail de la rectitude, recherche de l’équilibre sans chercher à remonter uniquement l’encolure, selon les chevaux les détails ou les priorités sont différentes. L'entraîneur est à l’écoute et s’adapte à chacun de ses trois cavaliers ; on va dans la foulée découvrir, à la page 328 quand même, lequel des trois l’a surnommé « Momo » ! Plus sérieusement, on saisit aussi tout l’aspect psychologique du rôle de l'entraîneur, à base de confiance réciproque et de travail en commun. En filigrane, la technique n’est guère évoquée, et lorsque Jean-Maurice Bonneau parle du besoin de rassembler, c’est juste pour illustrer l’évolution du travail d’un des chevaux. Avec lui, cette notion, dont il a compris depuis longtemps l’importance, exprime ce besoin de fluidité de l’athlète cheval de sport, conjugué avec l’absolu contrôle de son équilibre. Son talent de cavalier sert à l'entraîneur qu’il est devenu. Il peut ainsi orienter ceux qu’il coache vers l’image harmonieuse du couple cavalier-cheval performant.
C’est à Rotterdam qu’Orient Express l’étalon si brillant aux Championnats du Monde de Caen, n’ayant pas retrouvé toute sa forme, sort de la présélection olympique. Et c’est à Aix-la-Chapelle, « un des concours les plus difficiles du monde » que se fera la décision. Du côté de Jean-Maurice, qui a suivi les péripéties de « ses » cavaliers brésiliens, et de ses amis Nelson et Rodrigo Pessoa, la priorité est de trouver comment soigner le mal de dos de Kevin Staut et comment entretenir le moral de gladiateur de Philippe Rozier. Les performances des dernières semaines ont confirmé les noms des sélectionnés français pour les JO de Rio. L'entraîneur Henri Prudent est venu s’ajouter à l’équipe pour intervenir auprès de Pénélope Leprévost. Le vol pour le Brésil partira le 4 Août.
Les chevaux arrivent le 7 août 2016. Le lendemain, jour du cross de concours complet, l’équipe de France fait le job. Le surlendemain, Ryan le cheval de Simon Delestre se fait mal dans le box, et son forfait s’impose. Les autres chevaux, la petite bombe Flora de Mariposa, monture de Pénélope, et la jument Sydney de Bosty vont bien. Les 4 complétistes sont médaille d’or et Astier Nicolas médaille d’argent individuelle. L’épreuve d’échauffement du saut d’obstacles a lieu le 13 Août, sauf pour Flora qui a fait de petites coliques l’avant-veille. Les autres épreuves s'enchaînent, Momo » est aux petits soins pour ses deux cavaliers, Kevin Staut et Philippe Rozier et sait cibler sur l’essentiel en leur évitant la pression. Le résultat final est la médaille d’or par équipes, vous le saviez. Le chapitre ne suffirait pas pour donner à connaître et à comprendre tous les éléments qui ont fait la performance. Le livre peut juste mentionner la fierté de ceux qui y étaient, la joie de ceux qui ont pu dire « on l’a fait » ! Pour Jean-Maurice Bonneau, une fois encore, c’est simple, c’est du vécu !
Sa conclusion est brève. J’en retire cette phrase : « Père et grand-père comblé, entraîneur et enseignant plus passionné que jamais, j’ai envie de transmettre les valeurs essentielles …. ». La fin de la phrase est à retrouver à la page 366, avant les postfaces des 4 cavaliers qui faisaient partie de l’équipe championne du monde en 2002. Enthousiaste témoignage de Reynald Angot, émouvante citation par Gilles de Balanda de la phrase de Jean Rochefort qui sera le titre de ce livre passionnant, hommage d’Eric Levallois à son cheval aujourd’hui mondialement reconnu comme un des reproducteurs vedettes de la discipline, et respect d’Eric Navet pour celui qui reste pour lui un « entraîneur d’exception ».
B M 20/12/2022