Association pour la Légèreté en Equitation

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Nicolas BlondeauLa relation entre le cheval et l'homme est la base de leur compréhension mutuelle, et donc, quelque part, un élément essentiel de l'équitation. Nicolas Blondeau en a fait une des clés de ses formations. Associé depuis de nombreuses années à Allege-Ideal comme référent technique, il est un des hommes de chevaux les plus écoutés sur le terrain dans notre pays...

Ce texte a été prononcé voici quelques années lors d'Assises de la filière équine. Il rapelle les valeurs essentielles à l'éducation du cheval, mais aussi à la formation du cavalier !
Bonne Lecture ...



Nicolas Blondeau: Assises de la filière Equine - Angers le 7 novembre 2019

Pourquoi vit-on avec les chevaux ? Pourquoi a-t-on besoin d’eux ?
Quel est notre intérêt commun ?

Parler du bien-être animal c’est faire comprendre à tous ce besoin qu’on a de vivre ensemble.

Au-delà des conditions de vie qu’on doit donner aux chevaux et avec lesquelles tout le monde est d'accord, il me semble plus urgent d’expliquer la nature du lien qui unit les chevaux et les hommes.

C’est parce que nous avons des choses à faire ensemble que nous vivons avec eux.

Si beaucoup d’entre nous sommes passionnés par les chevaux, c’est que nous avons eu la chance de rencontrer, plus ou moins tôt, des hommes de cheval qui ont su nous faire partager leur passion.
C’est donc la connaissance du cheval, de son histoire et de son milieu qui saura intéresser le plus grand nombre.
Nos ancêtres vivaient en permanence avec les chevaux qui étaient souvent pour eux, au travail ou à la guerre, une question vitale.
Aujourd’hui cette relation avec le cheval est le plus souvent réduite au sport ou au loisir et la connaissance que nous en avons s’est aussi dégradée.

Je crois que toute relation durable passe par la connaissance de l’autre, et avant de parler d’évolution, ou de bien-être animal, il me semblerait utile de retrouver ce niveau de connaissance qu’avaient nos "anciens".

 

J’ai donc choisi de commencer par le début : familiariser à nouveau l’homme au cheval.

Nous avons ouvert à Saumur une école d’hommes de cheval, avec comme devise :
« Simplifier la vie des hommes, la rendre agréable aux chevaux »

C’était en 2005, le " bien être du cheval " était, déjà, au cœur du projet.

Ce que l’on essaye d’enseigner dans cette école c’est notre Tradition Française et surtout l’application de ses principes, puisque la méthode que j’ai mise en place en est directement issue.

Sans aucune prétention, je crois aussi qu’il est préférable de vivre cette culture pour pouvoir l’expliquer.

Le Général L’Hotte a écrit :
« L’art n’est pas dans les livres qui n’instruisent guère que ceux qui savent déjà.»

C’est aussi Jean Jaurès qui disait :
« On n’enseigne pas ce que l’on sait où ce que l’on croit savoir, on enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est. »

Notre tradition équestre trouve ses origines dans la Grèce Antique, puisque c’est Xénophon qui, le premier, 400 ans av/Jc, a parlé de la « descente des aides » et toute notre équitation est d’abord basée sur ce principe :

« Dès qu’il porte beau et qu’il est léger à la main qu’on cesse alors de le presser, de le chagriner mais qu’on le caresse au contraire et qu’on cesse le travail, de la sorte pensant à l’avenir en être bientôt quitte il prendra plus volontiers la position qui semblera devoir le délivrer .»

On voit bien comme notre équitation tient compte de la nature même de cet herbivore qu’est le cheval, qui cherche avant tout la paix et la tranquillité.
Et si le cheval se complait dans l’obéissance c’est aussi qu’il y trouve un intérêt.

Bien après, de nombreux écuyers français ont, chacun à leur tour, contribué à enrichir cette culture.

Au XVIIIe Siècle celui que l’on considère encore comme
le père de l’Équitation Française, La Guérinière a écrit ce beau texte dans son livre « École de Cavalerie » :

« Il y avait des personnes préposés pour exercer les poulains au sortir des haras lorsqu’ils étaient encore sauvages, on les appelait Cavalcadours de Bardelle. On les choisissait parmis ceux qui avait le plus de patience, d’industrie de hardiesse et de diligence, la perfection de ces qualités n’étant pas si nécessaire pour les chevaux qui ont déjà été montés . Ils accoutumaient les jeunes chevaux à souffrir qu’on les approchât dans l’écurie , à se laisser lever les quatre pieds , toucher à la main, à souffrir la bride, la selle, la croupière et les sangles, ils les assuraient et les rendaient doux au montoir, ils n’utilisaient jamais la rigueur ni la force qu’auparavant ils n’eussent essayé les plus doux moyens dont ils pussent s’aviser et par cette ingénieuse patience ils rendait un jeune cheval familier et ami de l’homme, lui conservait la vigueur et le courage , le rendait sage et obéissant aux premières règles. Si l’on imitait à présent la conduite de ses anciens amateurs on verrait moins de chevaux estropiés, ruinés, rebours, raides et vicieux. »

Voyez, La Guérinière regrettait déjà le « bon vieux temps » !
On voit là encore que le bien-être animal était une préoccupation première.

Plus tard, François Baucher, aussi, s’insurgeait contre, je cite:
« Ces ”casse-cou” qui débourrent et n’entendent rien à l’équitation et laissent au cheval un emploie de force aussi nuisible à son éducation morale qu’à son organisation physique.»
Et il ajoutait :
« Quand cessera -t-on de s’adresser ainsi à des animaux aussi intelligents !»

A la même époque, le Commandant Rousselet, connu pour sa réputation de douceur et d’élégance, premier maître du Général L’Hotte, insistait sur le fait, et c’était le premier conseil qu’il donnait :
« D’abord, rendre le cheval confiant.»

Le Général L’Hotte sera l’auteur d’un principe majeur de notre culture équestre :  « Calme, en avant et droit. »
Parce qu’il faut impérativement que le cheval soit calme et détendu pour qu’il puisse comprendre ce qu’on attend de lui.

Plus près de nous, le Docteur Vétérinaire Pierre Pradier donnait, d’ailleurs, une définition encore plus complète de l’impulsion dans laquelle le cheval doit évoluer avec l’homme :
«...cheval à disposition du cavalier, disposition qui présente d’évidence avec la soumission un rapport si étroit qu’il faut les confondre en une seule et même notion. »

 

Dans l’éducation du cheval, 3 autres principes doivent toujours être appliqués, ce sont aussi des principes Bauchéristes :

1 - « Se contenter de peu, demander souvent, récompenser beaucoup.»

2- « Ne demander que ce que l’on est sûr de pouvoir obtenir.»

3- « La certitude d’avoir été compris n’existe jamais chez le cavalier qui n’a pas été obéit.»

Ces 3 principes ont un lien entre eux, pour être sûr de pouvoir obtenir quelque chose il vaut mieux se contenter de peu.
Et pour comprendre vraiment les choses il vaut mieux les avoir vécu, d’où l’importance de faire exécuter aux chevaux les mouvements qu’on veut leurs apprendre.

C’est en tenant compte de ces principes que j’ai pu codifier la méthode, dont je vais maintenant vous parler.

Emmanuel Kant a écrit :

« L’apparence requiert tact et finesse, la vérité, calme et simplicité ».
Cette philosophie pourrait s’appliquer à l’équitation.

Mais « pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer. »
C’est peut-être-là le « mal français ».

A l’opposé de ces pratiques "venues d’ailleurs" et tant vantées par les médias, la méthode décrit, à mon avis, la façon la plus saine pour aborder un cheval la première fois.
La manière avec laquelle il est préférable de débuter son éducation, même s’il n’a jamais vu l’homme.
Avec cette progression les résultats sont extrêmement rapides mais cette rapidité n’est que la conséquence des moyens employés.

L’un des hommes de cheval le plus écoutés au XIXe siècle s’appelait Charles de Curnieux.
Il a définit le débourrage en ces termes :

« Le débourrage du cheval n’est pas une affaire de patience apathique ou d’audace téméraire, c’est le résumé le plus complet de toutes les connaissances que l’on peut acquérir en équitation .»
Cette définition résume bien toute la méthode qui pourrait, enfin, devenir les « humanités du cheval ».

 Éduquer ce n’est pas seulement apprendre de nouveaux comportements, c’est aussi accepter des contraintes, des règles communes pour pouvoir vivre ensemble.

Dans cette relation, ce qui est important, c’est la confiance et surtout le respect, un respect mutuel.
Parce qu’il me paraît bien difficile d’aimer quelqu’un qu’on ne respecte pas.

Pour le cheval, en présence de l’homme, la principale difficulté rencontrée est souvent la peur, sa peur de l’homme et/ou sa méfiance envers lui, surtout s’il y a eu des «antécédents».
Cette appréhension sera surmontée par le contact, un contact physique, c’est un corps à corps.
Il faut pendre le cheval « dans ses bras » et c’est là que la voix et surtout le toucher ont leur importance.
En règle générale plus un cheval a peur, plus il peut-être violent, et plus il faut se tenir près de lui, collé à lui, il faut pouvoir « Maîtriser le bout de devant », la proximité et l’embouchure deviennent alors indispensables.

A ce sujet, à l’encontre de certains référentiels de formation, qui interdisent aux élèves de manipuler dans les box, avec les chevaux, et j’insiste sur le fait, la véritable sécurité se trouve dans le geste juste.
Ce geste s’apprend, libre à nous de pouvoir l’enseigner.

Pour l’homme, la difficulté est surtout l’appréhension des réactions du cheval. On surmonte ce problème par l’expérience et la connaissance de son sujet.
D’où l’importance du débourrage ...de l’homme !!!...en préalable ...
Je dis toujours à l’École :« On éduque les chevaux mais on débourre surtout les hommes ! »

 

Alors, dans notre culture on manipule et on monte les chevaux avec une embouchure. Parce que si le cheval sent avec son nez, il palpe toujours les choses nouvelles avec sa bouche. La bouche du cheval devient ainsi la main de l’homme, ce qui me fait dire que : « On prend un cheval par la bouche comme on prend un enfant par la main. »

C’est la main qui rassure, qui guide, qui « donne envie » et deviendra impulsive ou insinuante comme le disait Beudant.

Il n’y a pas si longtemps quand on parlait d’un cavalier adroit on ne disait qu’une seule chose de lui :
« Il a une bonne main ! ».

Le Général Durand, à qui je dois beaucoup, pensait que si l’on devait résumer l’Équitation à sa plus simple expression on ne parlerait que du rapport existant entre la bouche du cheval et la main du cavalier.

C’est aussi et surtout à pied que l’homme « se fait la main ». Dès les premières manipulations et grâce à l’effet Colbert on peut dès le début s’occuper de ce contact main/bouche.

Toujours dans cet esprit de « descente des aides » c’est aussi à pied, quand la main cède et cesse d’agir, qu’on obtient les réponses à nos demandes.
Toutes les réponses arrivent dans la cession, ce qui reviendrait à prouver que :
« Pour recevoir, il faut donner ! »

A mon sens c’est la main qui fait « l’homme de cheval » et l’éleveur comme le cavalier doit être ou tendre à devenir Homme de Cheval.

 

Après ces premières manipulations faites au box, dans l’écurie, là où le cheval est appelé à vivre, l’autre étape importante est celle de l’embarquement.
Cette étape trouve sa raison d’être pour appliquer un autre précepte de Baucher :  « Aller chercher les résistances pour mieux les vaincre. »

En effet, une fois l’étape du van terminée, j’ai toujours observé un changement radical d’attitude, une confiance en l’homme et une disponibilité du cheval considérablement accrue.
Le fait de faire accomplir à un cheval une tâche qu’il appréhende va faire de l’homme un référent vis-à-vis du cheval.

Dans leur rapport entre eux, l’homme doit devenir, au plus tôt, le référent du cheval.
Le cheval doit s’en remettre à l’homme « comme un fils à son père ». C’est peut-être là le but de notre relation.

C’est surtout dans cet état d’esprit qu’il pourra participer en confiance à tout ce qui lui est proposé.

C’est ensuite le fait de demander quelque chose au cheval qui fait que l’on va pouvoir établir le lien avec lui.

C’est donc bien en faisant des choses ensemble qu’on crée le lien.
C’est le travail qui apprivoise et crée le lien.

 

Alors, il me paraît évident que poser la question du bien-être animal c’est poser la question du bien-être au travail.

Jocelyne Porcher l’a écrit dans son livre :
« Éleveurs et Animaux réinventer le lien »
Le bien-être des chevaux passe par celui des hommes.

S’il est bien sûr important d’organiser la vie des chevaux en pensant à leur bien être, il me paraît aussi nécessaire de s’occuper de la vie des hommes qui vivent avec eux.
Il faut donc former les hommes, leurs apprendre à travailler avec les chevaux, dans un rapport d’autorité et de respect, en leurs donnant des conditions de vie et de travail acceptables.

On peut bien sûr "pondre" des règlements qui obligent à mettre les chevaux au paddock tous les jours mais que va-t'il se passer si l’on donne cette charge supplémentaire à un employé déjà débordé ?
Les gens qui s’occupent des animaux savent bien que le temps leurs ait indispensable et a une vraie valeur.
Il faut, à mon sens, que les hommes aient le temps et les moyens matériels de s’occuper des chevaux qui leurs sont confiés.

Donc, si on veut parler de bien-être animal il faut s’intéresser aux conditions de travail des hommes avec les chevaux.
Dans ce sens, nous nous sommes donc rapprochés de Jocelyne Porcher Directrice de recherche à l’INRA qui étudie le "Travailler animal ".

C’est aussi grâce au soutien de la Région Normandie que nous avons pu démarrer le 1er programme de recherche que nous avons appelé CHEVALEDUC.

Les résultats de ces recherches vont permettre d’expliquer au grand public les raisons de notre relation avec les chevaux.
Ce programme de recherche a pour but de prouver que, comme l’homme, le cheval peut s’investir dans le travail et de s’y épanouir grâce à lui.
Pour s’en convaincre il suffit d’apprécier l’état, physique et mental, de la plupart des chevaux, qui «font carrière», dans les bonnes écuries.

 

A l’école, c’est Sophie Barreau, assistante de Jocelyne Porcher qui travaille sur ce programme depuis 2016.
Sophie a filmé un panel d’une centaine de poulains en cours de débourrage qui permet de penser que le cheval, dès ces premiers contacts avec l’homme, tend à établir une relation avec lui.

Je vous donne un exemple, dans la méthode, lors de l’étape du van, étape après laquelle on note ce changement d’attitude du cheval envers l’homme,
Sophie Barreau a relevé une réaction dont n’avait encore jamais parlé et qui est bien visible sur toutes ses vidéos.

Après avoir surmonté la difficulté de l’embarquement, le cheval se rapproche de l’homme et vient mettre le nez sur son épaule.

Ce même geste est décrit, mots pour mots, par un maréchal ferrant nommé Balassa dans un traité de maréchalerie intitulé « La ferrure sans contraintes », l’ouvrage est daté de 1825, et l’auteur affirme qu’après ce réflexe systématique les chevaux « se laissent complètement faire ».
On voit là encore, combien les "anciens" savaient observer les chevaux et leur comportement... Libre à nous d’en tenir compte, de les lire et de les écouter.

 

Enfin j’aimerais encore insister sur cet état d’esprit dans lequel on est avec les chevaux.
Je pense que l’on devrait suivre le conseil de Maurice Hontang, auteur de l’un des ouvrages les plus complet sur la psychologie du cheval qui, en 1955, concluait son livre en disant:
« Au point où en sont les connaissances sur la psychologie du cheval, c’est surtout la psychologie de l’homme de cheval qu’il convient d’inculquer, au plus tôt, à tous les usagers.»

Dans ce monde du cheval ou les sensibilités sont multiples, je crois vraiment que cet état d’esprit, d’homme de cheval, est unique...il serait bien dommage de ne pouvoir l’enseigner.
Un homme avant moi, dans les années 60, avait su le transmettre, il s’appelait Jean Couillaud.

Je voudrais terminer en rendant hommage au Régiment de Cavalerie de la Garde Républicaine de Paris qui applique la Méthode Blondeau depuis plusieurs années, parce que si l’on s’intéresse au « Bien-être animal », cette Institution est un des plus beaux exemples d’hommes et de chevaux vivant ensemble.
....Je voulais les remercier.

le Colonel Danloux avait raison,
« Le culte de la tradition n'exclut pas l’amour du progrès. »

...merci encore à eux de m’avoir tant aidé !

...et merci à vous, de m’avoir écouté.