Habituation et sensibilisation sont des mots du langage courant, même si les habitudes ne sont pas un apprentissage. Et si sensibiliser, chez nos amis les chevaux qui le sont déjà beaucoup par nature, veut dire faire attention, ce qui s'éloigne du sens dont nous informe cet article. Mais comme pour mieux comprendre les scientifiques, il faut s'adapter à leur langage, de même que pour mieux comprendre les chevaux, il faut appendre à "parler cheval", on pourra lire avec intérêt cet article de deux scientifiques qui travaillent régulierement avec notre référent technique Olivier Puls.
BM 29/11
Par Léa LANSADE - Marianne VIDAMENT - Christine BRIANT - Nelly GENOUX
Habituation et sensibilisation
Les animaux vivent dans un environnement en perpétuelle dynamique, où ils sont soumis à des événements qui provoquent diverses réponses comportementales. Certains événements vont effrayer les chevaux, mais si ces événements se répètent, ils ne les effrayeront plus : c’est l’habituation. A moins que la peur ne prenne le dessus : c’est la sensibilisation. Voyons de quoi il s’agit et comment bien les utiliser dans l’éducation et le dressage des chevaux.
Petits rappels sur les apprentissages
Habituation : qu’est-ce que cela signifie ?
L’habituation est un processus par lequel l’intensité d’une réponse à un stimulus (exemples : spray anti-mouches, douche, passage dans un gué, montée dans un van, bruit des avions de chasse…) est diminuée suite à une exposition répétée à ce stimulus (atténuation voire disparition du comportement initialement observé lors de la stimulation). Autrement dit, c’est rendre familier et neutre quelque chose (un nouvel objet, une nouvelle situation…) qui ne l’est pas au départ.
Le cheval va progressivement apprendre à moins réagir, voire à ne plus réagir du tout, à un stimulus qui n’est associé à aucune conséquence. Il va comprendre qu’une réaction calme est plus appropriée, car plus économe, que l’alerte ou la fuite.
Le terme de « désensibilisation », bien que n’étant pas reconnu scientifiquement, est couramment utilisé pour parler de l’habituation. Ceci est relativement incorrect, car la désensibilisation suggère qu’il y ait eu une sensibilisation au préalable.
Pourquoi habituer son cheval à quelque chose ?
L’habituation peut être utile pour :
- Faciliter et sécuriser toutes les manipulations pouvant engendrer de la peur ou du stress (transport, tonte, ferrage, soins, injections, administration de vermifuge…) ;
- Et pour habituer les chevaux à de nouveaux stimuli dont ils ont une peur innée du fait :
- De leur taille (gros tracteur, camion…) ;
- De leur intensité (coup de fusil, avion de chasse…) ;
- De leur nouveauté (voiture qui n’était pas garée là hier, nouvel obstacle…) ;
- Ou de leur soudaineté (personne qui arrive sans prévenir au coin du manège, déclenchement de l’arrosage automatique dans la carrière…).
Ce principe d’apprentissage est applicable à tout âge, aussi bien chez le poulain, que chez le jeune cheval au débourrage ou chez le cheval adulte.
Comment procéder pour habituer mon cheval à un stimulus ?
Pour induire une habituation, il faut procéder par étapes, en augmentant l’intensité du stimulus de manière très progressive, sans jamais dépasser le seuil de tolérance, limite à partir de laquelle le cheval commence à avoir peur. L’intensité du stimulus nécessaire pour atteindre ce seuil diffère d’un cheval à l’autre et va évoluer au cours de l’habituation. Attention, si l’on reste trop en-dessous du seuil, il n’y a pas d’apprentissage. La limite est ténue et parfois compliquée à ressentir. Il s’agit de capter l’attention de l’animal, sans le mettre sous tension. Mais alors, comment s’y prendre ?
Etape 1 = identifier le seuil de tolérance
Le seuil de tolérance correspond au moment à partir duquel le cheval manifeste une réaction face au stimulus présenté. Bien souvent, il s’agit du moment d’apparition des premiers signes de peur.
Exemple : Prenons le cas où l’on cherche à déterminer le seuil de tolérance par rapport à l’application d’un spray…
1) Je me tiens à 2 mètres du cheval, le spray à la main. Il n’y prête pas spécialement attention, encolure basse et détendue, oreilles relâchées.
→ Tout va bien, je suis sous le seuil de tolérance, je peux passer à l’étape suivante.
2) Je me tiens désormais tout près du cheval, le spray à la main. Cette fois-ci il regarde l’objet, commence à pointer les oreilles en avant et à relever légèrement l’encolure.
→ Je suis à la limite du seuil de tolérance, il faut consolider ce stade, voire éventuellement revenir en arrière.
3) Je touche le cheval avec le spray. Il a les oreilles pointées, l’encolure redressée, les yeux grands ouverts et les muscles tendus, voire commence à s’acculer sur les postérieurs et à « ronfler ».
→ J’ai dépassé le seuil de tolérance, il faut revenir en arrière et rassurer le cheval.
4) J’actionne le spray et le cheval fuit ou tire au renard.
→ C’est trop tard ! Je suis allé trop loin, l’exercice est un échec.
Bien sûr, cette échelle n’est qu’un exemple. Tous les chevaux ne réagiront pas de la même façon, et pas forcément aux mêmes stimuli. A vous de bien connaître votre cheval et de savoir l’observer pour l’habituer à de nouvelles choses sans dépasser le seuil de tolérance.
Limite du seuil de tolérance : le cheval montre un premier signe de peur en se cabrant légèrement © A. Laurioux | Seuil de tolérance dépassé : le cheval panique et se cabre franchement en faisant demi-tour © A. Laurioux |
Etape 2 = planifier les séances en définissant un certain nombre de paliers
En fonction de la sensibilité et du tempérament du cheval, il faudra définir à l’avance un certain nombre de paliers (distance objet-cheval, puissance…) à atteindre, le 1er palier étant le seuil de tolérance. Par la suite, chaque palier devra être confirmé avant de passer au palier supérieur, c’est-à-dire répété plusieurs fois (2-3 essais) sans que le cheval ne réagisse, faute de quoi il faudra redescendre au palier inférieur. Pour que le cheval soit dans les meilleures conditions, il est important d’éloigner le stimulus entre chaque palier pour lui permettre de se décontracter. Dans tous les cas, ne pas hésiter à multiplier le nombre de paliers, avec peu de différences de l’un à l’autre, et privilégier des séances courtes (de l’ordre de plusieurs minutes) et répétées de manière assez espacée. Loin d’être une perte de temps, cette manière de procéder est la clé de la réussite. C’est le meilleur moyen pour éviter de dépasser le seuil de tolérance et de devoir tout reprendre à zéro.
Exemple : Reprenons l’exemple du spray ci-dessous, dans le cas où votre cheval vous laisse l’approcher avec un spray à la main mais montre des signes de peur quand vous actionnez l’objet. On pourra par exemple définir 6 paliers :
- Montrer l’objet au cheval sans l’actionner ;
- Actionner l’objet à distance (par exemple plusieurs mètres) du cheval à faible intensité ;
- Actionner l’objet à distance à plus forte intensité ;
- Actionner l’objet à côté du cheval, mais pas dans sa direction ;
- Actionner l’objet en direction du cheval à faible intensité ;
- Actionner l’objet en direction du cheval à plus forte intensité.
1er palier : montrer la bâche au cheval à pied © A. Laurioux | 2ème palier : faire franchir la bâche au cheval © A. Laurioux | |
3ème palier : faire franchir la rivière au cheval © A. Laurioux |
Etape 3 = se lancer dans un environnement calme
Au début, on privilégiera un environnement calme, dans des conditions favorables, pour avoir un cheval le plus disponible possible.
Exemple : Dans l’exemple de l’habituation au spray, on commencera l’apprentissage dans une salle de soin fermée, à un moment où il n’y a ni bruits ni agitation autour (passage d’autres chevaux, bruit du tracteur, monde dans l’écurie…).
Etape 4 = généraliser dans d’autres environnements
Une fois l’apprentissage réussi dans un environnement calme, la procédure sera recommencée dans son intégralité pour confirmer l’apprentissage dans différents environnements. Quand le cheval n’a plus peur, et ce, quel que soit l’endroit où il se trouve, on dit qu’il a généralisé. Devenu familier avec un stimulus dans une situation donnée, le cheval montre une réaction initiale moins forte si le stimulus est présenté différemment (stimulus similaire ou le même dans un autre lieu). Exemple : Mon cheval accepte que je vaporise un spray dans sa queue dans la salle de soin de l’écurie. En est-il de même dans la cour de l’écurie lorsque quelqu’un me le tient en main ? En concours, attaché à un van ?... |
|
Mon cheval franchit maintenant une rivière à la maison… qu’en est-il d’une rivière barrée ? Acceptera-t-il aussi de la franchir en concours ? © A. Laurioux |
Et si ça ne marche pas ?
- Votre cheval est-il particulièrement émotif ?
- Depuis quand le cheval a-t-il peur du stimulus ? Si la peur est très ancienne, il sera certainement difficile d’y arriver avec la simple technique d’habituation.
- La procédure a-t-elle bien été respectée, avec progressivité ?
- Est-ce un manque de généralisation ?
- Y a-t-il eu un nombre suffisant de répétitions ?
- L’apprentissage n’est-il pas trop complexe ? Demander une seule chose très simple à la fois, sinon le cheval va avoir du mal à comprendre ce qui est demandé.
- L’intensité de présentation de l’objet n’était-elle pas trop basse ? Il ne faut jamais dépasser le seuil de tolérance, mais si on reste trop en-dessous il n’y a pas d’apprentissage.
- A l’inverse, le seuil de tolérance n’a-t-il pas été dépassé ? Il ne faudrait pas sensibiliser le cheval au lieu de l’habituer au stimulus. Redescendre d’un palier avant d’aller plus loin.
- Y a-t-il des stimuli associés qui augmentent la peur ? Veiller à travailler dans un environnement calme.
Habituation à notre insu
« Mon cheval ne réagit plus à la chambrière à la longe ». « J’ai beau mettre la jambe, mon cheval n’avance pas »… Si l’habituation est un apprentissage en général volontaire, nos actions ont parfois des effets indésirables pour l’éducation et le dressage des chevaux : agiter en permanence la chambrière derrière le cheval à la longe, bouger ou serrer sans cesse les jambes à cheval… Sans nous en rendre compte, nous apprenons progressivement au cheval à ne plus réagir à certaines de nos sollicitations. C’est ce qu’on appelle « l’habituation à notre insu ».
Habituation passive : lieu de vie
Un autre processus d’habituation consiste à placer dans le milieu de vie du cheval (box, paddock, pré) des objets qu’il risque de rencontrer lors de son utilisation. Il s’y habitue alors progressivement et de façon passive. C’est ce qu’on appelle « l’habituation passive ». Il faut cependant veiller à ce que cela ne constitue pas, en fait, un stress pour l’animal, et à changer les objets de place de temps en temps pour la généralisation. Il s’agit de trouver le juste équilibre entre monotonie et excès de stimulation.
La sensibilisation : amplification d’une réaction face à un stimulus
Sensibilisation : qu’est-ce que cela signifie ?
Si le seuil de tolérance du cheval est dépassé, la répétition d’un stimulus peut induire le phénomène inverse de l’habituation : la sensibilisation. Le cheval apprend alors à réagir très fortement au stimulus appliqué. En règle générale, ce stimulus est désagréable et la sensibilisation se produit lorsque le cheval est dans l’incapacité d’éviter ou de fuir l’exposition. La situation augmente sa peur initiale. Son niveau d’attention est augmenté et sa réponse au stimulus plus intense et rapide. Exemple : cheval qui tire au renard à la simple vue d’un spray suite au fait que la présentation du spray n’a pas été faite correctement |
|
Refus franc devant la rivière… le cheval s’est fait peur, il y a sensibilisation © A. Laurioux |
Par quels processus le cheval est-il sensibilisé ?
La sensibilisation a lieu quand le stimulus est présenté au-dessus du seuil de tolérance. A chaque présentation, la réaction du cheval est intensifiée.
Sensibilisation le plus souvent involontaire
Ce phénomène de sensibilisation peut se produire de manière involontaire avec un cheval très délicat/sensible ou si le processus d’habituation n’est pas assez progressif. Si l’on n’y fait pas attention, le cheval va réagir de plus en plus fort. Sensibilisation aux sprays, aux injections, à l’odeur de l’alcool, au bruit de la tondeuse, à la carte de randonnée qui se déplie à cheval… c’est ainsi que certains chevaux se mettent à paniquer dans certaines situations données. D’où l’importance d’être attentif au comportement de son cheval et au moindre signe de peur qu’il peut montrer, pour comprendre d’où vient cette peur et éviter ce genre de réaction.
Sensibilisation volontaire : intérêts et limites
Il arrive parfois également que ce processus d’apprentissage soit utilisé de manière volontaire pour rendre un cheval à nouveau réactif à une demande de son entraîneur, à laquelle il était devenu insensible. Lorsque le cheval ne répond plus à la chambrière, le longeur est parfois obligé de lui faire un rappel en claquant cette dernière derrière lui pour le faire réagir. Après cela, le simple fait de lever la chambrière, sans l’agiter, remettra le cheval en avant. Attention cependant à ne pas multiplier les situations de peur, ce qui aurait à terme des conséquences sur la relation Homme-cheval et le bien-être de l’animal.