Les avantages de l’ouvrage de Jean-Claude RACINET sont nombreux. Il est présenté par Jean-Louis Gouraud : son introduction explique tout ce qu’on ne savait pas sur l’auteur, son ami, son professeur, ce « fondu d’équitation et de dressage ». Il honore la mémoire d’un homme de cheval, dont ma génération a lu et commenté, voire discuté, de 1975 à 1985 les chroniques qu’il écrivait dans l’Information Hippique.
Mon professeur d’équitation, Mr Pierre Chambry contribuait volontiers à ces joutes épistolaires car son épaule en dedans était incurvée, ce que n’était pas celle de Racinet … Ce livre, superbement édité, est distrayant, comme l’était sans doute son auteur, car au-delà de la technique équestre, il aborde bien d’autres notions. Celles sur le fonctionnement de l’animal cheval : les débats actuels avec les scientifiques, éthologues, bio-mécaniciens, l’auraient passionné ! Celles sur l’organisation du sport équestre, elles aussi toujours d’actualité en cette période d’élections fédérales. Celles sur la politique, sur la religion, sur l’engagement personnel, qui parfois nous dépassent un peu … mais expliquent sa longue relation et ses échanges intellectuels nourris avec JL.Gouraud.
La première partie est consacrée aux chroniques parues. Les querelles avec Jean d’Orgeix les ouvrent en 1975 et se terminent en 1985 avec la reconnaissance d’une méthode d’Orgeix. La médaille d’or olympique par équipes en saut d’obstacles des Jeux de Montréal, 40 ans avant celle de Rio en 2016, n’y était sans doute pas étrangère. L’impulsion est un des chevaux de bataille de ce redoutable « agitateur d’idées » qu’est Racinet, quitte à défendre la « main impulsive » qui n’est à mon sens pas un idéal de légèreté ! Mais c’est aussi un sage, quand il parle du cheval au pré ou du débourrage, dans des termes que ne renieraient pas les défenseurs du bien-être animal d’aujourd’hui. Cela dit, il ne reste pas sage longtemps d’ailleurs, puisqu’il adore être provocant, par exemple dans sa manière de défendre la viande de cheval, ce qui, soit dit en passant, à cette époque a d’ailleurs permis de sauver les races de trait françaises … Il est le plus souvent technique, et met en jeu son expérience de cavalier d’obstacles, quand il évoque l’utilité de la martingale fixe, ou détaille au long de 4 articles la mécanique du saut. Et puis on voit dans ses chroniques que Jean-Claude Racinet n’est pas un adepte de la compétition de dressage, faut-il l’ajouter ?
La seconde partie débute, passé la moitié de l’ouvrage, par quelques blagues (mais oui !), deux prières (c’est vrai !), et une promotion de l’équitation western, avant un retour à la tradition équestre française. N’aurait-il pas le premier su définir ce qu’elle est ? Je le cite : « une manière qui, grâce à des interventions sobres et efficaces, sur un cheval « calme, en avant, droit », mais aussi vibrant, flexible et équilibré, fait éclore la légèreté. ». Il nous parle de la descente des aides, du « mains sans jambes, jambes sans mains » et trouve parfaite la définition de L’Hotte pour la légèreté : « la mise en jeu par le cavalier et l’emploi que fait le cheval des seules forces utiles au mouvement envisagé ». Il précise très classiquement les notions de flexions, d’extension d’encolure, de décontraction, et ajoute même, ce qui ne peut que faire plaisir au juge de dressage que je suis : « Le mâchonnement des mors, sans la déglutition caractéristique de la vraie cession de mâchoire, est à proscrire. Il n’est le plus souvent que l’expression de l’agacement du cheval. » Il conclut ce texte inédit en appelant de ses vœux un dressage rénové où se manifeste « le mariage de l’impulsion et de la flexibilité des ressorts » du Général L’Hotte. Curieux de tout ce qui concerne l’équitation, Racinet a étudié Beudant, comme beaucoup, impressionnés par les photos et les écrits de cet « écuyer mirobolant ». Et puis en 1987 il a découvert Giniaux. Et l’ostéopathie l’a passionné ! Cela ne l’empêche pas de vouloir le convaincre que « son » épaule en dedans est la bonne, puisqu’il répète que l’épaule en dedans, ce n’est pas de l’incurvation, c’est du pas de côté … tout en se rendant compte de la difficulté d’échanger par-dessus les océans, puisqu’il termine sa lettre par « Merci de m’avoir supporté jusqu’ici » ! Pour mémoire, c’est en 1989 que le Dr Giniaux est intervenu au Haras national de Rosières, et a remis en ordre quelques dos d’étalons ou de chevaux de sport, en praticien expert qu’il était : j’ai ainsi appris et aussi admiré en vrai ce précurseur.
Mais revenons à notre auteur : une lettre personnelle de Jean-Claude Racinet à Jean-Louis Gouraud suit : elle est émouvante ! Il y indique qu’il ne sait pas mépriser « j’aime ou je déteste » quand son ami (JLG) est à l’opposé « généreux et tolérant ». Suit une lettre au nouveau président de la Fédération, Pierre Durand, où se retrouve son côté anti-compétition de dressage, anti-juges, anti-allemand, controverses datées mais qui subsistent parfois sur les réseaux sociaux d’aujourd’hui, où il aurait sans doute été une vedette ! Il attaque au passage les Haras nationaux de l’époque, pour un simple rendez-vous raté : Mr Henry Blanc, récemment décédé, doit s’en retourner dans sa tombe ! Ses lettres au Général Durand, à l’écuyer en chef Loïc de la Porte du Theil, à Dominique Ollivier, à Philippe Karl, sont cependant toutes une preuve de sa passion, entretenue outre-Atlantique, pour la tradition équestre française. Et nous arrivons à 2008, où se développe son intérêt pour la mécanique locomotrice du cheval, grâce à Giniaux. Il semble que les muscles, les vertèbres, et tout leur fonctionnement n’ont plus de secret pour lui, comme le prouve une lettre à son ami le Général Durand où, sur 10 pages quand même, il lui explique tout ( mais je n’ai pas tout compris) ; mais il ne peut s’empêcher pour terminer de critiquer rien moins que les généraux L’Hotte et Decarpentry, qui sont pour ma génération (et pour celle de l’actuel écuyer en chef Patrick Teisserenc), les références absolues de notre tradition équestre …
La troisième partie s’intitule « latinité ». Là, me suis-je dit, nous allons être d’accord. C’est un texte de 1987, érudit, bien écrit, en deux chapitres ; le premier « philosophie de la question » est une analyse brillante, une sorte d’état des lieux de notre patrimoine équestre, où il montre l’apport de Baucher « réactionnaire intelligent » et son influence sur le grand écuyer du XXème siècle Nuno Oliveira ; le second chapitre « propositions pour l’action » veut relancer diverses propositions pour mettre en valeur le « bauchérisme modéré greffé sur un tronc classique » du Colonel Durand . Jean-Louis Gouraud dans sa note de bas de page nous indique que ces projets n’eurent pas de développement, pour des raisons de moyens bien évidemment… Mais l’APPEL- APPEAL (Association pour la protection et la promotion de l’équitation latine - … Equitation for Art and Lightness en anglais) que Racinet voulait créer n’est-elle pas quelque part un précurseur de l’ALLEGE – IDEAL (Association pour la légèreté en Equitation- International Dressage and Equitation Association for Lightness) que Carde, d’Orgeix et Henriquet ont mis en place ultérieurement ? D’ailleurs dans sa lettre au président de la FFE de 1993, Racinet témoigne du respect qu’il a pour le Colonel Carde. Celui-ci m’a confirmé que la réciproque est vraie, et qu’il a apprécié l’intelligence et la profonde connaissance du bauchérisme de l’auteur, et l’intérêt de ses articles comme témoignage culturel d’un esprit éclairé et dont il appréciait l‘anticonformisme !
La quatrième partie s’intitule « ostéopathie ». C’est un entretien mené en 2005 par le journaliste et réalisateur de documentaires Laurent Desprez, un fan de belle équitation et de légèreté, avec Jean-Claude Racinet, lors d’une démonstration organisée chez Jean-Louis Gouraud. Deux questions de Laurent Desprez montrent qu’il a été étonné de la forte tension de rênes utilisée par Racinet. Réponse : « Les gens ne savent pas se servir de leurs mains parce quand ils tirent, ils tirent non pas trop, mais trop longtemps » … Ce sens certain du paradoxe montre que le concept de légèreté était plus chez lui une recherche qu’un préalable. Ils se réconcilient ensuite en échangeant sur Oliveira et sur le demi-tour autour des hanches en placer externe de Racinet. Et l’ouvrage se termine par un texte « Baucher ostéopathe » écrit par Jean-Claude Racinet un an après le décès en mai 2004 du Dr Giniaux, une sorte d’hommage posthume à celui qui l’a initié, même si on y trouve sans doute en filigrane la cause de certaines incompréhensions : « j’ai manipulé à ma manière des dizaines de chevaux ».
En conclusion, je dirai qu’aujourd’hui, les « ostéos » et les dentistes équins sont formés et leurs professions reconnues. Ils sont devenus indispensables pour soigner d’abord, mais aussi pour valider les sensations des cavaliers et soulager les douleurs des chevaux qui ne travaillent pas « avec leur dos ». Les flexions bauchéristes sont mal connues mais méritent de ne pas être oubliées, quand on voit les miracles qu’on peut obtenir avec, si et seulement si ce sont de vrais hommes et femmes de chevaux qui les pratiquent, avec toute la progressivité nécessaire, et avec tout le respect dû à l’animal. Mais ce sont ces techniques, cette culture, ce patrimoine français, qui ont été négligés, même si certains écuyers et certains enseignants les connaissent encore et savent les appliquer. Bref, n’épiloguons pas : Baucher était un précurseur c’est vrai ; il a souvent été mal compris ou mal interprété c’est vrai. Nuno Oliveira a été un des grands noms qui ont participé à la transmission de ces découvertes, et de ses principes, devenus classiques. Donc Jean-Claude Racinet avait raison, mais il avait sans doute le tort d’avoir eu raison trop tôt !
BM 12/12/2020