Préambule : hyperflexion, rollkur, LDR
L’hyperflexion est un enroulement de l’encolure et une flexion de la nuque, le bout du nez se rapprochant du poitrail dans une attitude qui n’est plus naturelle. Dans la gamme de ces attitudes, le rollkur serait la position extrême en hyperflexion forcée, tandis qu’à l’opposé on aurait une attitude hyperfléchie « rond et bas » (ou LDR pour « low, deep and round ») obtenue sans effet de force et sans durée excessive, jugée acceptable par la FEI. On en mesure l’excès par :
- La courbure de l’encolure et la fermeture de l’angle tête-encolure, qui se résume au rapprochement du bout du nez au poitrail.
- L’agressivité des actions de main pour obtenir cette attitude.
- La durée du maintien du cheval dans cette position.
Pour comparer les effets de ces attitudes, les scientifiques ont défini 5 positions (cf. figure 1), notées HNP (pour « Head & Neck Position »), qui distinguent le rollkur (HNP4) de la position acceptable par la FEI (HNP7).
¹ Position HNP7 ajoutée par dessin du Behavior Research Blog
La réglementation
Répondant aux critiques, la FEI a progressivement délimité le champ de l’hyperflexion admissible sur les terrains de compétition et formé ses stewards à repérer les postures « tête basse et proche du poitrail » qui nécessitent des remarques, puis des sanctions :
- Une attitude enfermée avec le bout du nez qui touche le poitrail.
- L’inconfort du cheval : oreilles en arrière, fouaillements de queue, ouvertures de la bouche...
- Les actions agressives du cavalier pour obtenir ou maintenir l’attitude.
La FEI a défini trois attitudes autorisées (cf. figure 2) car qualifiées comme permettant la relaxation et l'étirement de la tête et de l’encolure (LDR). En 2014, la fédération équestre suisse a pris le parti d’interdire le rollkur à l’entraînement et sur les terrains de compétitions.
Actuellement, force est de constater que l’attitude observée sur les terrains d’échauffement lors des compétitions internationales est loin de répondre aux attentes exprimées par la FEI (cf. figure 3). On peut penser que les chevaux finissent par ne plus se défendre dans cette attitude et que les phénomènes d’inconfort du cheval ou d’agressivité du cavalier disparaissent, réduisant toute possibilité de sanctions.
Les avantages (supposés) de l’hyperflexion
Les utilisateurs de cette pratique considèrent qu’elle permet de renforcer la soumission du cheval et améliorer l’engagement des postérieurs. Nous verrons ci-dessous, qu’à part le faire rentrer de force dans le couloir des aides, elle contrarie son apprentissage et n’améliore pas la locomotion ; il ne pourra s’en sortir que par la révolte ou l’abandon dans une non réactivité dépressive.
Les entraîneurs pourraient penser développer certaines qualités de force dans cette attitude où les muscles supérieurs de l’encolure sont totalement étirés sans augmentation de la charge de traction. On sait que le muscle se développe lorsqu’il travaille à des niveaux de puissance importants et, plus spécifiquement, dans la position et l’amplitude du geste qu’il aura à fournir en compétition. Ce n’est pas le cas de l’hyperflexion où les muscles de la base de l’encolure ne travaillent pas dans la position attendue lors du ramener en vue du rassembler (cf. figures 4 et 5). Pour Kienapfel (2014), lors d’une hyperflexion, les muscles inférieurs de l’encolure vont être sollicités (muscle brachio-céphalique) ce qui va entraîner un mouvement superficiel des antérieurs. Au contraire, une posture en avant de la verticale va solliciter les muscles supérieurs de l’encolure (splénius et trapèze).D’autre part, supprimer le balancier de l’encolure par cette pratique pourrait être considéré comme un moyen de développer la force des autres parties du corps et en l’occurrence des muscles de la propulsion (muscles dorsaux et des membres postérieurs). Lorsque l’on connait l’éventail des possibilités de muscler la partie postérieure du cheval par des exercices classiques et la plus grande difficulté de faire évoluer les muscles élévateurs des épaules, favorisant l’équilibre, on peut être surpris de cette approche.
En effet, peu d’effets positifs en lien avec le rassembler, notamment dans l’engagement (Santosusso, 2018), ont été observés dans les études scientifiques sur des chevaux travaillés en hyperflexion. Une étude préliminaire, conduite à Saumur en 2020, montre que le cheval perd en rebond quand il est placé en hyperflexion et que celui-ci est encore plus dégradé au galop (cf. figures 6 et 7). Cette même étude avec des centrales inertielles placées sur le sternum confirme le manque de gain en propulsion lorsque le cheval passe de l’allure naturelle à celle de l’hyperflexion. Dans une recherche qui reste à approfondir, le travail rassemblé, au trot et au galop, sollicite plus le cheval, car il requiert une puissance supérieure au travail en hyperflexion. En attendant des études complémentaires sur la durée, on ne peut présumer d’un quelconque intérêt du travail en hyperflexion pour améliorer les allures rassemblées.
Les inconvénients de l’hyperflexion
Beaucoup d’observateurs considèrent la pratique de l’hyperflexion comme très inconfortable pour le cheval et ont conduit certains pays comme la Suisse et l’Allemagne à en réglementer l’usage. De très nombreuses études scientifiques concluent qu’il est contraire au bien-être du cheval et nuisible pour sa santé. Les études qui montrent une absence d’effets négatifs sont rares. Elles sont souvent issues de pays où l’hyperflexion est couramment utilisée et sont réalisées sur des chevaux soumis régulièrement à cette pratique. La littérature scientifique liste les effets néfastes suivants.
Une restriction du champ de vision
Pour se déplacer, le cheval dispose de trois référentiels : le sol, l’environnement et la sensation de la gravité perçue par l’oreille interne. Une fois tête basse et enfermée, le cheval ne dispose plus que d’une vue monoculaire latérale réduite et d’une vue binoculaire lui permettant à peine de juger le sol où il met les pieds. Ollivier (1999) considère qu’éloigner considérablement et durablement la tête du cheval de sa position naturelle de référence, en y ajoutant la perte de repères visuels, peut très probablement occasionner des troubles de l’équilibre (cf. figure 8).
Dans une autre étude, Kienapfel observe que les chevaux portant leur chanfrein derrière la verticale ont montré plus de comportements conflictuels que les chevaux avec le nez en avant la verticale.
Une diminution des capacités respiratoires
respiration optimale, les voies respiratoires doivent être dégagées et ouvertes. Toute position non naturelle de la tête, qu’elle soit due à la main du cavalier ou à un harnachement contraignant, gène la respiration du cheval. L’extension de l’encolure permet une ouverture maximale du diamètre du pharynx pour une entrée d’air optimale. La flexion de la tête et de l’encolure entraîne une réduction du diamètre du pharynx (cf. figure 9).l travaillant en hyperflexion peut avoir des difficultés à respirer. Il peut alors produire un son, dû à la vibration des cordes vocales, ou chercher à éviter la main du cavalier en plongeant la tête vers le bas et en se mettant en arrière de la main. Les performances et le confort du cheval risquent alors d’être altérés.
A partir de radiographies au repos, Li-Mei Go confirme l’hypothèse qu’une flexion plus importante de l'encolure conduit à une réduction conséquente du diamètre du pharynx chez le cheval. La diminution du diamètre du pharynx entraîne une résistance accrue au flux d'air respiratoire, en particulier pendant l'exercice, lorsque les voies respiratoires sont comprimées (cf. figure 10).
Un manque de relâchement
Pour étudier l’acceptation du cheval à son travail et son relâchement, les éthologues relèvent notamment les mouvements de décontraction de la bouche, son ouverture forcée et la position des oreilles (vers l’avant ou de côté ou au contraire en arrière en signe de contrariété). Dans notre étude, le cheval a marqué son inconfort lors des passages en hyperflexion par une plus grande fréquence d’ouvertures de la bouche (qui, chez le cheval, n’est pas une demande liée à la respiration) et moins de mouvements de celle-ci. Pour ce cheval, les fouaillements de la queue étaient présents autant dans les allures rassemblées qu’en hyperflexion, mais les oreilles plus souvent en arrière aux allures rassemblées (cf. figures 11 et 12).
Comme tous les animaux, les chevaux cherchent à éviter la douleur et lorsqu'ils ne peuvent y échapper, ils peuvent devenir hyperréactifs, en utilisant des mécanismes de défense (e.g., ruer, se mettre debout et taper). McLean (2010) décrit les mécanismes d'adaptation actifs du cheval : si la douleur persiste sur une période suffisamment longue et que le cheval ne peut pas résoudre le problème de la douleur, le comportement hyperréactif peut dégénérer dans des comportements d'adaptation passifs. Le cheval devient alors hyporéactif et semble abandonner ; le cheval peut montrer tous les signes de la dépression. Cet abandon peut faire croire au cavalier qu’il a réussi dans sa « conquête » alors qu’il a rompu la relation avec son cheval.
Une incompréhension dans l’apprentissage
En 2010, McLean évalue différentes techniques et dispositifs en fonction de leur potentiel à contrarier l'apprentissage du cheval. Il analyse notamment la pratique de l’hyperflexion comme de nature à créer de la confusion dans l’apprentissage du cheval ou à compromettre son état de bien-être.
Induire la confusion en utilisant un même signal pour deux réponses différentes
Dans une pratique « agressive » de l’hyperflexion, le cheval va être confronté à deux réponses distinctes (décélération et flexion de l’encolure) pour un même signal (e.g., tension des rênes) et il pourrait être, alors, moins sensible aux demandes de ralentissement. L’auteur estime que l’on peut s'attendre à voir des chevaux hyperfléchis montrer plus de signes à se précipiter, à charger et avoir d'autres comportements hyperréactifs, tels que la ruade, si leurs réponses de décélération sont diminuées.
Induire la confusion en utilisant une action simultanée et contradictoire
Plus insidieuse et plus répandue est l’action simultanée de 2 signaux opposés conditionnés de manière opérante, tels que les rênes (la réponse d'arrêt) et les jambes (la réponse « en avant »). Cette action place le cheval dans une situation qui est du point de vue biomécanique impossible, parce que les muscles qu'il utilise pour avancer et s'arrêter sont antagonistes, donc encore une fois le résultat est un effet de désapprentissage. La confusion subséquente peut induire des comportements de conflit chez les chevaux.
Les conséquences à long terme de l’hyperflexion
A terme, le travail régulier en hyperflexion pourrait conduire à des traumatismes. Aucune étude n’a encore montré un lien direct mais de nombreux auteurs et vétérinaires l’envisagent très sérieusement.
La région nuchale est une zone particulièrement fragile chez le cheval, dans la mesure où elle est le siège de nombreuses insertions musculaires, d’émergences nerveuses et représente un carrefour vasculaire important entre le crâne et le reste du corps. Revenons sur quelques notions d’anatomie et intéressons-nous tout particulièrement à la partie dorsale de cette région, c’est-à-dire aux ligaments, tendons et muscles qui passent au-dessus des vertèbres cervicales. En effet, ce sont eux qui seront les premiers affectés, lors du rollkur, par leur étirement.
Le risque de lésions du ligament nuchal
Le ligament nuchal (cf. figure 13) se loge en profondeur, enfoui sous la musculature de l’encolure (cf. figure 14). Sa corde s’insère sur l’arrière du crâne au niveau de l’occiput (sa surface d’insertion moyenne pour un cheval adulte est de 4,2 cm² - Elgersma et al.). La première lame s’insère quant à elle sur la deuxième vertèbre cervicale, appelée axis. Sa surface d’insertion (6 cm²) est la plus importante de l’ensemble corde-lames au niveau cervical (pour les vertèbres cervicales suivantes, ces surfaces varient entre 1 et 2 cm²).
Elgersma et al. (2010) ont montré dans leur étude que les tensions les plus importantes s’exerçaient au niveau de l’origine de la corde sur l’occiput et de l’attache de la première lame sur C2. Ce sont dans les positions HNP4, puis respectivement HNP7 et HNP2, que les charges mesurées sur ces 2 attaches sont les plus importantes. Il estime que cette surcharge pourrait avoir des conséquences lésionnelles.
La bursite se caractérise par une inflammation et un gonflement au niveau de la bourse, petit « coussinet » situé entre le ligament et la surface osseuse (cf. figure 15).
On peut observer sur ce dessin que rien qu’au niveau de la surface de l’occiput, qui est relativement réduite, s’insèrent 4 muscles différents (M. petit et grand droit, M. oblique crânial et M. semi-épineux) de chaque côté de l’origine de la corde du ligament nuchal. Ces 4 muscles sont des élévateurs de la tête et seront donc fortement étirés dans la position du rollkur.
Dans l’article de Elgersma et al., on imagine facilement l’étirement que vont subir ces différents muscles (cf. figures 16, 17 et 18) dans les positions HNP2, HNP4 et HNP7. Chez certains chevaux de dressage, on peut observer des « enthésopathies musculaires », c’est-à-dire des remodelages osseux à la surface d’insertion de certains de ces muscles (cf. figure 19).
Par ailleurs, la région de la nuque est un véritable « carrefour » vasculaire et nerveux :
- La moelle épinière et les artères vertébrales passent à travers un trou situé à l’arrière du crâne au niveau de l’os occipital, appelé « foramen magnum » (cf. figures 20 et 21).
- Une seconde échancrure située de chaque côté du crâne, juste sous la base de l’oreille, permet le passage :
- De 3 nerfs crâniens très importants : IX N. glosso-pharyngien, X N. vague (fonctions sensitives pour la majorité des viscères thoraciques et digestifs + fonctions parasympathiques) et XI N. accessoire
- Des artères carotides internes (cf. figure 22)
- Et des veines jugulaires
Nous avons vu précédemment que la flexion de l’angle tête-encolure forme un coude au niveau du pharynx, augmentant la résistance au passage de l’air et donc une moins bonne oxygénation. Qu’en est-il des structures nerveuses et vasculaires que nous venons de citer ? L’hyperflexion (d’autant plus si elle se prolonge pendant plusieurs minutes) n’aurait-elle pas des répercussions sur l’irrigation artérielle et le drainage du retour veineux du crâne ?
Les limites mécaniques
Les ligaments nuchaux et supra-épineux étant solidaires, c’est toute la chaîne dorsale de la nuque jusqu’au bassin qui est affectée par l'hyperflexion (cf. figure 23). Denoix (1999) a montré dans une étude que la mise en tension du ligament nuchal par une flexion cervicale basse augmente la mobilité du dos en région thoracique de T5 à T18, mais réduit considérablement la mobilité en région lombaire (T18-L5). Il explique l’augmentation de mobilité thoracique par la hauteur des processus épineux du garrot (grands « bras de levier ») et la relative élasticité du ligament supra-épineux dans cette région (jusqu’à l’arrière de la selle). Ce ligament devient ensuite fibreux en région lombaire, limitant les possibilités de flexion de la colonne vertébrale. Afin d’engager ses postérieurs sous la masse, le cheval devra augmenter le travail musculaire de ses muscles abdominaux et psoas pour faire face à l’inextensibilité de ce ligament en région lombaire. Si, dans l’attitude du rollkur, le cavalier maintient sa demande d'engagement, le cheval devra donc « forcer » au niveau lombaire pour maintenir l’avancée des postérieurs sous la masse. L’excès de tension sur le ligament supra-épineux pourra provoquer des lésions sur celui-ci et ses attaches (desmopathies, enthésopathies) (cf. figure 23). Par ailleurs, cette posture entraîne une compression des corps vertébraux et des disques intervertébraux les uns contre les autres, risquant d’avoir des séquelles, surtout en région cervicale.
La douleur exercée par le mors
Alors que la FEI est sensible à l’agressivité que peuvent mettre les cavaliers pour obtenir l’attitude hyperfléchie, des auteurs se sont intéressés aux tensions sur les rênes. En 2014, Christensen observe, sur 15 chevaux de Grand Prix montés chaque jour dans une attitude différente, une tension de rênes supérieure quand le cavalier travaille dans les attitudes les plus exigeantes (CF et LDR) par rapport à l’attitude LF (cf. figure 24). Les résultats montrent également une forte corrélation entre les valeurs de tension et la fréquence d’apparition de comportements conflictuels, prouvant que l’application de tensions élevées leur est inconfortable. Ce résultat est également démontré par une étude utilisant la fluoroscopie (technique d’imagerie dynamique analogue à la radiographie) sur des chevaux équipés de rênes fixes, sur lesquelles on applique une tension de 25 ± 5 N. Clayton montre l’influence de la raideur de la rêne fixe utilisée et de son raccourcissement sur la tension, et observe les pics de tension en cadence avec l’allure.
Plus le cheval est dans une attitude hyperfléchie, plus le mors porte sur les barres et l’action des rênes est douloureuse. Sachant que les cavaliers ont une mauvaise connaissance de la réalité des actions qu’ils exercent sur les rênes et que leur référence de tension leur est propre, il devient pressant de poursuivre les études sur ce sujet.
Les cavaliers justifient le travail en hyperflexion car ils la demandent dans la légèreté, le cheval gardant de lui-même cette attitude acquise. Pour vérifier cette assertion, certains experts demandent au cavalier de rompre le contact pendant 2 foulées pour démontrer que le cheval garde sa locomotion et son attitude ; d’autres proposent que le cheval, montrant qu’il ne craint pas le mors, étire son encolure vers l'avant pendant cette période comme s'il était « à la recherche du contact ».
Le choix du cheval
Si on propose au cheval de travailler soit dans une attitude où le chanfrein est en avant de la verticale, soit dans une attitude où l’encolure est en hyperflexion, il montre sa préférence pour le premier travail qui lui est plus naturel. Dans l’étude de Von Borstel, en 2009, des chevaux ont été préalablement habitués à travailler dans un lieu en rollkur (R) et dans un autre lieu identique dans une attitude naturelle (N). Lorsque le choix leur est laissé, 14 sur 15 des chevaux choisissent le lieu où ils sont travaillés le plus naturellement.
Ce qu'il faut retenir
Les études scientifiques montrant les inconvénients du travail en hyperflexion sont nombreuses. Elles doivent se poursuivre pour arriver à convaincre les cavaliers, qu’ils soient amateurs ou professionnels, de la nuisance de cette pratique pour le bien-être de leur cheval et son inutilité pour la performance.