A un ami juge de dressage
Cher ami,
Vous avez prétendu que je n'aimais pas la compétition de Dressage. Cette assertion est juste mais "en même temps" elle ne l'est pas.
Elle ne l'est pas parce que je dois aux concours de Dressage les plus beaux moments de ma vie de cavalier; parce que je leur dois, aussi, que l'on m'ait confié d'éminentes et passionnantes fonctions.
Représenter son pays dans les championnats d'Europe, du monde, être sélectionné pour les jeux olympiques vous procure une grande joie et vous laisse d'inoubliables souvenirs. Comme celui d'avoir concouru plusieurs fois à Aix la Chapelle et s'y être vu remettre sa récompense par le colonel Nyblaeus, le président de la commission de Dressage de la FEI d'alors, un seigneur. Comme d' y avoir vécu les fameux adieux quand des milliers de personnes, debout, agitent un mouchoir blanc dans une immense émotion partagée entre le public et les lauréats rassemblés dans le stade, sur l'air du german soldier song. Tout cela vous noue la gorge rien que de l'évoquer.
C'était aussi le temps ou un prêtre, juge international, célébrait la messe sur un terrain de concours en Belgique entre deux épreuves....
Alors c'est vrai, cher ami, j'aimais cette compétition. Elle se voulait académique autant que sportive. L'Ecole allemande, précise, sérieuse y rivalisait , en la dominant, certes, avec l'école française plus fringante, peut-être, mais moins exacte.
Mais j'ai du mal à retrouver, aujourd'hui, ce que j'ai tant aimé hier. L'équitation que j'y vois est uniforme, à quelques exceptions près. Elle peine à montrer des chevaux qui obéissent "sans hésitation et avec empressement aux aides de leurs cavaliers, calmement et avec précision, dans un équilibre harmonieux tant physique que mental" (article 401-5). Elle a dérivé vers le spectaculaire dans l'effort.
Quant à son règlement , à peine modifié, il est d'une application très discutable. On l'a quand même adapté à l'évolution de la pratique actuelle en supprimant ce qui était trop difficile ou gênant. Ainsi la disparition du paragraphe qui stipulait que c'était à l'allure du pas que les imperfections du dressage étaient les plus évidentes. Au pas, la reine des allures!
Je passe sur le contact , toujours supposé être doux , léger et principalement assuré sur le filet, la nuque étant souple...Je vois surtout des chevaux tenus fermement , les bouches fermées par des muserolles fortement serrées. Oubliée la légèreté, "marque de la haute école!"
Mais les méthodes d'entraînement me laissent encore plus sceptique, et je trouve désolant que la barbare hyper- flexion de l'encolure, en opposition totale avec le code de conduite de la FEI , permette à certains de gagner au plus haut niveau.
Malgré tout cela je veux être optimiste. Dans un courrier qu'il m'avait adressé, René Bacharach citait cette phrase de Gide:" le monde sera sauvé par quelques uns".
Puisse-t-il avoir raison!
Dans cette optimiste perspective quelques exemples me viennent spontanément à l'esprit. Je vois chez certains cavaliers le subtil et facile mariage entre "Impulsion et flexibilité des ressorts" .Il conduit à l'obéissance du cheval dans la légèreté grâce à ( et dans ) l'harmonie musculaire. Chez d'autres, trop rares , la justesse de l'équitation leur permet aussi de se montrer à l'aise sur les barres.
Alors, cher ami, je vous dis ma conviction: ou bien notre temps produira de plus en plus de cavalières et de cavaliers comme ceux des catégories ci-dessus nommées, dans une équitation qui se développera en collant à l'esprit et à la lettre du règlement de Dressage comme au code de conduite de la FEI; ou bien la compétition de Dressage mourra de n'avoir pas su préserver l'art équestre des altérations qu'il aura subi (article 419) par l'incompétence des hommes ou leur ambition. Ce qui n'est pas une éventualité mais une certitude.
Et ce sont vous, les juges, qui en déciderez en ayant su, ou non, séparer le bon grain de l'ivraie, permettant alors que la compétition de Dressage continue à vivre dans le respect des principes fondamentaux de l'équitation et dans celui de l'intégrité physique et mentale du cheval.
Amicalement.
Ch. Carde