Auteurs : J.P. Viseu, podologue - DIU de Posturologie Clinique, Doctorant en sciences des APS & Agnès Olivier, Docteur en sciences des APS, Enseignante d’équitation
Octobre 2017
Que nous soyons praticiens de santé, préparateurs physiques, entraineurs ou sportifs de haut niveau, nous avons tous entendu parler de posturologie. Que se cache-t-il derrière ce terme, si commun en sciences humaines et si nécessaire au sport équestre ? Quels sont les intérêts d'un bilan et d'une reprogrammation posturale du cavalier ?
Introduction
Ce néologisme médical est né en France au début des années 80 et s’évertue à étudier l’être humain dans sa globalité et non de façon morcelée comme la médecine l’étudie habituellement.
Le maintien de la posture est un acte moteur, automatique et inconscient qui permet à l'homme d'adopter une position érigée et de se stabiliser en statique ou en dynamique. Nous ne pouvons comprendre le contrôle postural du cavalier sans intégrer les riches interactions qui existent entre le cavalier et son cheval. L’optimisation de ce couplage ne peut s’effectuer sans une bonne « perception avant l’action ». Nos différents sens (la vue, l’ouïe, le toucher, la proprioception ligamentaire, tendineuse…) renseignent notre cerveau sur notre position avant d’agir. Toutefois la fiabilité que nous accordons à nos propres sens peut varier d’un individu à l’autre.
La posturologie est une pratique clinique permettant de réaliser un bilan postural à partir d’une approche pluridisciplinaire : tous les professionnels qui entourent le cavalier sont concernés.
Qu'est-ce que le contrôle de la posture ?
Il existe différentes définitions de la posture. Paillard par exemple, définit la posture comme « la position de l’ensemble des segments à un instant précis », mais aussi comme « la stabilisation automatique du corps dans le champ des forces de gravité dans une position standard caractéristique de l’espèce ».
La définition de Massion nous intéresse particulièrement puisqu’il postule que la posture présente deux fonctions majeures :
- le maintien de l’équilibre correspond à une fonction antigravitaire qui consiste à s’opposer à la force de pesanteur. En condition statique, l’équilibre postural est maintenu lorsque la projection au sol du centre de gravité reste à l’intérieur de la surface de sustentation, délimitée par les appuis au sol. Le tonus postural est le principal facteur permettant d’assurer cette fonction par l’intermédiaire de nos muscles profonds, appelés aussi muscles posturaux.
- l’orientation spatiale et d’interface avec le monde extérieur pour la perception et l’action. L’orientation posturale assure la stabilité nécessaire au développement du mouvement. Elle permet d’exécuter des gestes orientés vers des buts précis, comme se positionner son regard avant de franchir un obstacle, et d’interagir de façon efficace avec l’environnement. L’homme étant soumis aux accélérations gravitaires et à celles provenant du mouvement lui-même, la posture est donc instable.
La posture est directement associée à celle du contrôle postural. Cette définition s’accorde bien avec le précepte de Baucher : « la position précède l’action » donnant une importance à l’orientation du corps avant le mouvement.
L’équilibre et l’orientation posturale reposent sur l’interaction entre différents sens (Figure 1). Nos récepteurs sensoriels détectent des informations spécifiques :
- Accélérations de la tête pour l’oreille interne (récepteur vestibulaire),
- Application du poids du corps pour le toucher (récepteur proprioceptif),
- Configuration posturale des segments pour les récepteurs musculaires, tendineux et articulaires (récepteur proprioceptif),
- Déplacement de la scène pour la vision (récepteur visuel). Ces informations, parfois redondantes, sont complémentaires, assurent et modulent la réalisation de nos mouvements.
Le cavalier : une posture spécifique
L’équitation est une discipline sportive particulière en termes d’équilibre puisqu’il résulte de l’interaction entre le cavalier et le cheval. Le cavalier, bipède, va devoir passer d’un état d’équilibre naturel sur ses pieds lors de la marche à un état d’équilibre « transformé » à califourchon sur son bassin principalement lorsqu’il se déplace à cheval (Figure 2).
L’équitation est une discipline complexe à classer parmi les sports. André-Thomas (1940) l’a intégrée parmi les sports dits à « équilibre de luxe » donnant ainsi une importance à l’équilibre et à la coordination posturale à l’équitation tout comme la danse ou la gymnastique.
Auvinet (1998) met en évidence le lien entre la position du cavalier sur la selle, les courbures rachidiennes qui en résultent, et le fonctionnement du bassin : « c’est par le jeu de son bassin que le cavalier absorbe les chocs », l’ensemble des forces et impulsions provoquées par les mouvements de sa monture. L’acquisition d’une position spécifique à la pratique de l’équitation va permettre au cavalier de suivre les mouvements du cheval sans sauter sur sa selle. La maîtrise de ce que les professionnels appellent « l’assiette » (la position du bassin par rapport au rachis), va permettre au cavalier de s’adapter à tout mouvement de sa monture. Il existe plusieurs « assiettes » à adopter afin d’acquérir une meilleure stabilité (Figure 3).
Le cavalier doit constamment adapter sa posture soumise aux perturbations créées par les mouvements de sa monture, de l’environnement et de la tâche à effectuer (sauts, figures…). Le contrôle postural est ainsi une composante fondamentale de la performance du cavalier qui diffère selon le niveau d’expertise du cavalier et de ses différences inter-individuelles.
Les pathologies rencontrées en équitation sont très souvent des pathologies de surmenage liées à une sollicitation excessive ou inadaptée de nos tendons, muscles ou articulations. Le dos des cavaliers est particulièrement sollicité à travers les nombreuses adaptations posturales induites par les mouvements du cheval (différentes allures, sauts, etc.).
Le cavalier professionnel montre des signes de surmenage musculo-ligamentaire pouvant induire la survenue de cervicalgies (12%), de dorsalgies (7%) et de lombalgies (près de 64% des cavaliers déclarent souffrir de lombalgies). De plus, l’équitation fait partie des catégories de sport à « risque fort » comme le motocyclisme. A titre comparatif, le football fait partie des sports à « moyen risque » et la chasse à « faible risque ». Voir aussi : Cavalier professionnel : et si on parlait de votre santé ?
La réalisation d’un bilan postural permettrait d’évaluer certains dysfonctionnements en amont en vue de prévenir de potentielles blessures et de s’assurer que la posture est stable et efficace.
Les étapes du bilan postural
L’objectif du bilan postural est d’évaluer l’efficacité du contrôle postural du cavalier à partir d’une analyse morpho-statique puis dynamique.
Morphotype
Après un interrogatoire rigoureux (antécédents, douleurs, tensions…), la première phase du bilan évalue les principales caractéristiques morphologiques du cavalier dans les différents plans de l’espace.
Cette analyse peut se faire à l’aide d’outils d’analyse vidéo (illustration 1) ou d’outils cliniques validés et reproductibles qui apprécieront entre autres :
- la position du cavalier par rapport à la ligne de gravité sagittale et frontale.
- les bascules scapulaires et pelviennes.
- les inflexions et rotations aux différents étages corporels (tête, vertèbres, position des genoux et des pieds).
Ce bilan descriptif alimente ensuite la compréhension du mouvement.
Epreuve Posturo-Dynamique (EPD)
A l’issue de cette première analyse, l’évaluation du tonus musculaire et d’éventuels troubles posturaux est effectuée au moyen de l’« Epreuve Posturo-Dynamique » , (Figure 4) basée sur les lois biomécaniques du mouvement du rachis.
Cette épreuve permet, avant tout protocole thérapeutique, d’évaluer le tonus des muscles paravertébraux et la mobilité vertébrale. Elle permet également de repérer efficacement l’incidence d’éventuelles asymétries sur notre posture. Ces asymétries peuvent être des dysfonctions principalement proprioceptives et tactiles ou des témoins de perturbations de l’intégration des informations visuelles, vestibulaires, viscérales ou bien encore organiques dans la gestion du système postural.
Il existe d’autres tests simples d’évaluation de l’équilibre comme le test du maintien pelvien. Il permet d’apprécier si le sujet horizontalise efficacement le bassin lorsqu’il se trouve en appui sur une seule jambe. Nous remarquons d’ailleurs que ce test est souvent dysfonctionnel chez les cavaliers lombalgiques.
Etude du déplacement du centre des pressions
L’étude des déplacements du centre de pression podale, qui « danse » en permanence avec notre centre de gravité pour nous stabiliser, peut-être mesuré au moyen de plateformes forces de stabilométrie (Gagey, 1985). Ces enregistrements peuvent mettre en évidence les éventuels troubles positionnels, les dysfonctions perceptives et motrices qui perturberont l’équilibre dynamique. Cette étude (stabilométrique, Figure 5) est une épreuve objectivant le degré d’instabilité. Pour les cavaliers elle constitue un outil préventif et de suivi de son entrainement ou d’un traitement.
La reprogrammation / remédiation posturale
A l’issue de ces dernières étapes, le podologue initié à la posturologie peut de rééquilibrer le système postural au moyen de stimulations plantaires selon les cas. Dans ce cas, le podologue initié à la posturologie utilise des stimulations plantaires qui imposent au système postural de se réguler. Aujourd’hui nous parlons ainsi de « remédiation posturale » et non plus de « reprogrammation posturale » car c’est le système postural de la personne qui corrige ses dysfonctions à partir de nouvelles informations.
L’effet des semelles de posture est sensoriel et moteur. Plus précisément, il s’agit d’éléments dans la semelle dépassant rarement 3 mm d’épaisseur. Ces éléments fins agissent comme des leurres qui, en stimulant les récepteurs plantaires, ordonnent au cerveau d’ajuster le tonus musculaire. Les semelles permettent de recentrer, de rééquilibrer la posture du cavalier par rapport à la force gravitaire.
Ces semelles fines et amovibles ont montré leur efficacité sur le contrôle postural mais également sur le contrôle oculomoteur (mouvement des yeux), surtout en présence de douleurs. En complément d’autres thérapeutiques déjà présentes dans le suivi classique de la posture (kinésithérapiques, ostéopathiques, ORL…), elles doivent être portées durant la pratique sportive et au quotidien. En quelques semaines elles permettent de libérer le corps de tensions parasites.
Conclusion
L’objectif du bilan et de cette remédiation posturale n’est pas de rendre le cavalier parfaitement symétrique au niveau morphologique mais de le rendre fonctionnel en faisant appel à ses capacités d’auto-régulation posturale. La posturologie sera complémentaire des protocoles de préparation physique et des autres traitements médicaux. Les observations qui en découlent permettent d’orienter et d’individualiser le traitement selon les spécificités de chacun et de prévenir les blessures.
Références
- Gagey PM, Baron JB, Ushio N. (1980) Introduction à la posturologie clinique. Agressologie; 21:119-2
- Paillard, J. (1980). Le corps situé et le corps identifié. Une approche psychophysiologique de la notion de schéma corporel, Revue Médicale de la Suisse Romande, 100, 129-141.
- Lestienne, F., Perrin, P. (1994). Mécanismes de l’équilibration humaine: explorations fonctionnelles, Application au sport et à la rééducation. Paris: Masson
- André-Thomas, A.S. (1940). Equilibre et équilibration. Paris: Masson
- Olivier A, Faugloire E, Lejeune L, Biau S and Isableu B (2017) Head Stability and Head-Trunk Coordination in Horseback Riders: The Contribution of Visual Information According to Expertise. Front. Hum. Neurosci. 11:11. doi: 10.3389/fnhum.2017.00011
- Auvinet, 1995, Accident et prévention de l’accident d’équitation. Médecine du sport
- Favory, 2011, Santé et équitation
- Villeneuve Ph. (1998). Le syndrome de déficience posturale est-il objectivable cliniquement ? Pied équilibre et rachis, Ph Villeneuve, 209-221, Frison-Roche, Paris.
- Nguyen P, Cremadès F, Gatelet C. Test du maintien pelvien (TMP), Degré de concordance. Neurophysiologie clinique 2013;44(1):140-1.
- Foisy A, Gaertner C, Matheron E, Kapoula Z (2015) Controlling Posture and Vergence Eye Movements in Quiet Stance: Effects of Thin Plantar Inserts. PLoS ONE10(12): e0143693. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0143693